Souvenirs d'Aji

阿吉的故事

- Illustrations : L. H. -

Une famille de paysans

« La famille de mon père est originaire de Zhangzhou, dans la province du Fujian. Ils sont arrivés à Taïwan sous le règne de l’Empereur Xianfeng de la dynastie Qing.

Ils se sont installés en pleine montagne, et ont tâché de cultiver la terre, comme ils le faisaient en Chine. Mais ce nouvel environnement ne leur permettait pas de vivre décemment de leurs récoltes habituelles. Cependant, ils se sont rendus compte que ce milieu était très favorable à la culture du thé.

Les conditions de vie étaient vraiment difficiles. Mon père et son frère devaient marcher trois heures pour se rendre à l’école du bourg.

Cela n’a pas empêché mon père de se consacrer avec beaucoup de sérieux à ses études. Grâce aux bourses de l’État, il a pu quitter Nantou pour étudier les sciences politiques à l’Université nationale de Taïwan, à Taïpei. Une fois diplômé, c’est dans cette ville qu’il s’est installé. »

Une famille de Waishengren

« Mon arrière-grand-père maternel était un cadre très haut placé du Kuomintang dans la province du Hebei. Mais quand la famille est venue se réfugier à Taïwan, en 1949, ils ont tout perdu.

En Chine continentale, mon grand-père maternel faisait des études de médecine. Il a dû les interrompre à cause de la guerre. Arrivé à Taïwan, il est devenu instituteur.

Par la suite, toute la famille s’est retrouvée à Taïpei. La vie était alors très difficile. Pour subsister, ils ont monté un petit stand de rue où ils vendaient des petits déjeuners : du lait de soja, des shaobing et des beignets frits (youtiao).

Ce n’est que grâce à l’obtention de bourses de l’État que ma mère et ses deux frères ont pu poursuivre leurs études. »

Souvenirs de guerre

« Lorsque la guerre de résistance contre le Japon a éclaté, ma grand-mère maternelle étudiait dans une école de jeunes filles. Avec ses camarades, elle a fui le sud du Hebei pour se rendre dans le Shanxi. Ils n’avaient pu emporter que peu de vivres et ont survécu en buvant l’eau des ruisseaux le long du chemin.

Par la suite, ma grand-mère a intégré un groupe de guérilla. Elle a dû s’entraîner au maniement des armes. Un jour, alors qu’elle ne savait pas que son fusil était chargé, une balle est partie et a failli tuer le cheval de la troupe.

Après son arrivée à Taïwan, mon arrière-grand-père a aidé à beaucoup de personnes. C’est pourquoi chaque année, beaucoup de monde venait chez nous pour fêter son anniversaire. Ils s’attablaient tous ensemble pour jouer au mah-jong.

Au cours de ces parties, ils aimaient se remémorer le passé. Ils parlaient de la guerre civile, de la défaite et du repli du Kuomintang. Ils disaient souvent que pendant la guerre contre les communistes, ils n’avaient rien à manger, et devaient se contenter de boire l’eau fondue des stalactites. »

Un fusil enterré dans le jardin

« Sous l’occupation japonaise, mon arrière-grand-père paternel avait acheté un fusil pour chasser le sanglier. Quelques années plus tard, la police est venue arrêter mon grand-père : il était soupçonné de détenir illégalement une arme et d’avoir participé au soulèvement du 28 février (1947).

Mon oncle s’est alors rendu au bureau de police. C’est là qu’il a appris que mon grand-père avait été dénoncé par quelqu’un. Décidé à trouver l’arme, il a marché huit heures dans la montagne pour se rendre chez mon arrière-grand-père. Il a fini par trouver le fusil enfoui sous un tas de bois : il était complètement rouillé. Il a attendu la nuit pour l’enterrer.

Ce n’est que plus tard que nous avons compris ce qu’il s’était passé : quelqu’un avait eu un différend avec un policier et avait tiré sur lui pour se venger, sans que personne ne le voie. Pour se dédouaner, il avait fait accuser mon grand-père, qui a été condamné à 120 jours de réclusion.

Grâce aux démarches de mon père, mon grand-père a obtenu le statut de victime des événements de 2.28 et de la Terreur blanche, et a pu recevoir des indemnités de réparation. »